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Bible Commentaries
Nombres 22

La Bible Annotée de NeuchâtelLa Bible Annotée de Neuchâtel

versets 1-41

Plan du commentaire biblique de Nombres 22

Balaam (chapitres 22 Ă  24)

Le récit de l’intervention de Balaam à ce moment de l’histoire d’Israël est un épisode dont tout le monde admire la beauté littéraire, mais dont les difficultés morales et religieuses sont aussi reconnues de tous. Aux yeux de plusieurs, ces difficultés seraient de réelles contradictions, résultant de la pluralité des documents employés par le rédacteur. Nous aurons à voir si le récit est vraiment en contradiction avec lui-même ou avec les autres passages qui se rapportent au même sujet (Nombres 31.8-16 ; Josué 13.22).

Le roi des Moabites, Balak, effrayé de la force de cette nation qui arrive tout à coup dans le voisinage de ses États et qui vient de remporter une éclatante victoire sur les Amorrhéens, les vainqueurs de son propre peuple, cherche les moyens de se défaire d’un si redoutable nouveau venu et il pense ne pouvoir y parvenir qu’au moyen d’un secours surnaturel. Il fait venir des bords de l’Euphrate (à vingt journées de distance) un homme dont la réputation est parvenue jusqu’à lui et qu’il croit assez puissant pour lui assurer la faveur du ciel dans la lutte armée qu’il va engager avec Israël. Cet homme, nommé Balaam, cédant après une lutte intérieure à l’appât du gain, finit par se rendre à son désir. Mais au lieu de maudire Israël, sous l’action puissante de l’Esprit de l’Éternel il se voit forcé de le bénir. Cependant il ne se console pas de s’être par là privé du salaire magnifique qui lui avait été promis, et, avant de rentrer dans son pays, il donne aux ennemis d’Israël le seul conseil propre à leur procurer la victoire, celui d’entraîner ce peuple aux crimes de l’idolâtrie et de l’impureté et par là de le priver de l’appui de son Dieu. Ce conseil, aussi habile qu’il est perfide, est suivi. Balaam obtient son salaire terrestre, mais il reçoit aussi le salaire divin : il meurt enveloppé dans la défaite des ennemis d’Israël.

On a appelé ce personnage : la figure la plus énigmatique de toute l’histoire biblique. En effet, Balaam est difficile à caractériser. D’un côté, ce n’est pas un simple magicien païen. Il connaît dès longtemps Jéhova : car c’est lui qu’il consulte immédiatement à l’arrivée des envoyés de Balak. Sur la réponse négative de l’Éternel, il refuse d’aller avec eux et quand il consent ensuite à le faire, c’est après qu’il en a obtenu de Dieu même l’autorisation. Enfin il ne parle que d’après l’inspiration divine et préfère renoncer aux richesses promises plutôt que de contrevenir à la volonté de Dieu. D’autre part, Balaam ne peut pas non plus être envisagé comme un prophète de l’Éternel. Il est en dehors du cours des révélations israélites ; il consent à s’associer avec le païen Balak et il emploie pour se mettre en communication avec Dieu des moyens auxquels les prophètes n’ont jamais recours, les signes extérieurs ou les incantations, il travaille pour un salaire et finit par tout sacrifier à l’appât du gain. Aussi porte-t-il non le titre de nabi (prophète), ou de chozé (voyant), mais celui de kosen (devin ou magicien, Josué 13.22).

Comment expliquer cette position équivoque qui forme le trait particulier de son histoire et d’où proviennent les principales difficultés du récit ? Il faut se rappeler que Balaam venait de la contrée où Abraham avait séjourné avant de passer en Canaan, où étaient demeurés Thérach, le père de ce patriarche et Nachor, son frère, ainsi que leur famille et que c’était là que Jacob était venu trouver Laban, son oncle. C’est au nom de l’Éternel que celui-ci avait reçu le serviteur d’Abraham en lui disant : Entre, béni de l’Éternel ! et que plus tard il priait Jacob de rester avec lui : J’ai reconnu que l’Éternel est avec toi (Genèse 30.7). Sans vouloir faire de Balaam, comme le Talmud, un descendant de la famille patriarcale, il n’est point impossible que des rayons épars de la lumière religieuse dont elle était éclairée, se fussent répandus autour d’elle dans cette contrée et fussent parvenus jusqu’à lui. Il parle de Dieu non seulement en le désignant sous son nom d’Elohim, la divinité, mais en employant le nom plus rare et plus caractéristique de Jéhova, qui était en usage dans la famille patriarcale. Balaam n’attachait pas sans doute à ce nom divin le sens plus spécial de Dieu national d’Israël qu’il avait pris surtout depuis les révélations accordées à Moïse (Exode, chapitres 3 et 4) ; mais certainement ce nom caractérisait à ses yeux le Dieu auprès duquel il cherchait ses inspirations, comme un Dieu élevé au-dessus de tous les autres que l’on adorait autour de lui. Comparez le titre de El-Eliôn, le Dieu très-haut, donné à l’Éternel par Melchisédek au temps d’Abraham. Il est même possible que Balak, qui était lui-même descendant de Lot, n’ignorât pas la relation particulière qui existait entre le Dieu nommé Jéhova et le peuple descendant d’Abraham et que ce fût précisément en vertu de ce rapport qu’il désirât obtenir le ministère de Balaam pour faire maudire ce peuple par un serviteur de son propre Dieu. On sait que les Romains, avant de combattre une nation, cherchaient à la faire maudire au nom du Dieu qu’elle adorait. Mais en même temps on ne peut méconnaître que cette connaissance de Jéhova que possédait Balaam, tout en étant supérieure à la religion du peuple qui l’entourait, n’eût pris chez lui à bien des égards le caractère du milieu idolâtre dans lequel il vivait. La magie et ses artifices occultes remplissaient la vie du peuple chaldéen plus que celle d’aucune autre nation : on consultait les dieux pour toutes choses et par toutes sortes de moyens superstitieux ; le peuple et les rois avaient pour cela recours au ministère des astrologues et des devins. Et ceux-ci n’étaient pas envisagés seulement comme capables de découvrir les secrets divins. On leur attribuait un véritable pouvoir sur les décisions de la divinité. C’étaient plus que des devins habiles ; c’étaient des sorciers plus ou moins puissants. Telle était l’opinion que, sur le bruit public parvenu jusqu’à lui, Balak s’était faite de Balaam. Ajoutons à cela qu’il se représentait vraisemblablement Jéhova comme un être versatile à la façon des dieux des païens et comme pouvant être influencé par certains moyens secrets, connus de son serviteur. Nous ne pouvons dire jusqu’à quel point, dans ces temps d’obscurité spirituelle, Dieu qui, comme le dit saint Paul, ne s’est jamais laissé sans témoignage auprès des païens, pouvait condescendre à communiquer avec un homme certainement doué d’une intelligence supérieure et cherchant sa lumière. Mais le danger pour un tel homme, dans un tel entourage, était de se servir de Dieu au lieu de le servir. De là le caractère équivoque de la situation morale et religieuse de Balaam, ainsi que la conduite à deux faces qu’il va tenir dans l’épreuve suprême à laquelle aboutit sa carrière.

Des critiques de l’école la plus négative ont jugé qu’il n’y avait aucun motif de révoquer en doute la vérité des faits renfermés dans le récit. Ils ont seulement envisagé les discours mis dans la bouche de Balaam comme des compositions postérieures sur le thème vraiment historique de la bénédiction d’Israël par un devin chaldéen appelé pour le maudire.

Sur la question des documents au moyen desquels a été composé ce récit, les critiques modernes ne se sont point encore mis d’accord. Plusieurs envisagent le passage Nombres 22.33-35 (la scène de l’ânesse) comme une intercalation tirée du document jéhoviste et que le rédacteur aurait insérée dans un récit emprunté à un document élohiste (autre que le grand écrit que nous désignons ordinairement de ce nom), document dont nous n’avons pas parlé spécialement parce qu’il figure plutôt parmi les sources du jéhoviste lui-même. On prétend que dans cette scène de l’ânesse Balaam joue un rôle beaucoup plus fâcheux que dans ce qui précède et suit. On pense aussi qu’il faut attribuer les quatre discours de Balaam relatifs à Moab dans les chapitres 23 et 24 à deux auteurs différents ; mais tel critique attribue les deux premiers au jéhoviste et les deux derniers à l’élohiste dont nous venons de parler et tel autre fait l’inverse ; ce qui prouve que les raisons alléguées n’ont rien de bien contraignant. Nous nous contenterons, comme d’ordinaire, d’étudier et d’expliquer simplement le récit tel que le rédacteur nous l’a transmis. Sur l’authenticité des discours, voir à la fin du morceau.

L’emploi des deux noms Elohim et Jéhova ne présente point ici la même régularité que dans le livre de Job, par exemple, où le nom de Jéhova est constamment employé dans le récit et celui d’Elohim dans la bouche des interlocuteurs. Balaam dit douze fois Jéhova ; Balak deux fois, une fois ironiquement (Nombres 24.11) ; le narrateur quatorze fois (sur lesquelles neuf fois dans la locution l’ange de l’Éternel). Balaam dit une fois Elohim et huit fois El ; Balak une fois Elohim ; le narrateur sept fois. Il est difficile de tirer de là une conclusion quelconque.

Nous appelons encore l’attention des lecteurs sur la citation remarquable Michée 6.5 qui montre combien ce récit était connu en Israël antérieurement à la période prophétique.

Verset 1

Partirent. Après cet épisode (la victoire sur Og, roi de Basan), les Israélites reprennent leur marche et descendent des hauts plateaux de Moab par le large Wadi Hesbân dans la plaine du Jourdain. C’est la continuation de Nombres 21.20.

Au-delà : au point de vue de l’Israélite déjà établi en Palestine.

Les plaines de Moab : les campagnes qui bordent le Jourdain sur la rive gauche, près de son embouchure et qui, si même elles avaient, été conquises par les Amorrhéens, ce que nous ignorons, avaient conservé le nom le plaines de Moab. Sur l’emplacement plus précis de ce campement, voir Nombres 33.49.

Ici se termine le récit très sommaire du long et rapide voyage de Kadès à la Terre promise. C’est le livre de Josué qui reprendra la suite du récit en racontant le passage du Jourdain et la conquête de Canaan.

Verset 2

Première ambassade de Balak ; refus de Balaam (2-14)

Et Balak, fils de Tsippor. Balak signifie : il ravage ; Tsippor : oiseau. Ce Balak était roi de Moab. Pourquoi cela n’est-il dit qu’au verset 4 ? C’est l’un des indices d’où l’on a conclu à une pluralité de documents. Voir cependant au verset 5.

Vit tout… Tant qu’Israël n’avait fait que de longer la frontière de ses États en simple voyageur, Balak ne s’en était pas inquiété ; mais, après la défaite de son voisin et vainqueur Sihon, il craint qu’Israël ne lui prépare un sort tout pareil.

Aux Amorrhéens, littéralement : à l’Amorrhéen. Peut-être ne s’agit-il encore que de Sihon et non du roi de Basan, habitant plus au nord, quoique celui-ci soit aussi désigné comme amorrhéen (Deutéronome 31.4 ; Josué 2.10).

Verset 3

Fut pris d’horreur. C’est un sentiment plus fort que la peur, résultant du malaise profond que fait éprouver le contact avec une puissance dont on pressent le caractère mystérieux et surnaturel (Exode 1.12).

Verset 4

Dit aux Anciens de Madian. Les deux peuples sentent le besoin de s’unir contre une nation qui leur fait l’effet d’un ennemi commun. Les Madianites occupaient des contrées très diverses (Exode 2.15 ; Exode 3.1 ; Nombres 10.29). Ceux dont il s’agit ici habitaient le désert situé à l’orient des Moabites et des Amorrhéens, et cela, depuis très longtemps (Genèse 36.35). Sihon les avait rendus tributaires (Josué 13.21). Mais depuis sa défaite, ils avaient recouvré leur indépendance. Très commerçants, ils avaient pu, dans leurs courses en Orient, entendre parler de Balaam. Il est donc possible que ce fût d’eux que provint l’idée de recourir au ministère de ce devin.

Verset 5

Balaam ; sens probable : Celui qui dévore le peuple, comparez Apocalypse 2.14-15 (Nicolaos, vainqueur du peuple).

Béor : flambeau.

Péthor : ville de Mésopotamie, située sur l’Euphrate supérieur ; souvent mentionnée dans les inscriptions cunéiformes sous le nom de Pitrou.

Dans le pays des fils de son peuple. On a parfois rapporté le son à Balak, qui aurait été ainsi originaire de Mésopotamie comme Balaam. Voyez l’exemple d’un roi édomite d’origine mésopotamienne : Genèse 36.37. Plusieurs manuscrits hébreux lisent ammon au lieu de ammo (son peuple) et font ainsi de ce roi un Ammonite, mais contrairement à Nombres 23.7. Le sens le plus naturel est de rapporter les mots : des fils de son peuple, à Balaam ; l’auteur veut faire comprendre par là que Balaam habitait dans un pays fort éloigné et combien était long le voyage dont il s’agissait. On peut supposer dans ce cas que l’indication de la dignité de Balak à ce moment du récit est en relation avec la gravité de cette démarche qui exigeait de la part de son auteur une autorité et des dépenses vraiment royales.

Verset 6

Maudis-moi ce peuple. Une fois Israël maudit au nom de la divinité que servait Balaam, Balak espérait le vaincre plus sûrement par la force des armes, car il se proposait bien de l’attaquer (verset 12).

Peut-être pourrai-je : au moyen de cet appui surnaturel.

Verset 7

De quoi payer. Le verset 17 montre que le salaire complet ne devait être payé à Balaam qu’après le succès obtenu.

Verset 8

Si Balaam eût été un vrai prophète, il aurait refusé le salaire. Mais il faisait de sa divination un métier exercé pour de l’argent. C’est là ce qui le pousse à soumettre la question à l’Éternel, malgré la connaissance qu’il avait sans doute de la relation particulière de Dieu avec le peuple hébreu. L’amour de l’argent le conduit à essayer, sans que pourtant il pense à renier l’obéissance qu’il doit à Dieu.

Cette nuit. C’était donc ordinairement de nuit, en vision ou en songe, qu’il recevait les communications supérieures qui l’avaient rendu célèbre. Comparez l’avertissement de Dieu au roi païen Abimélec (Genèse 20.3).

Verset 9

Qui sont ces hommes…? Chose étonnante, c’est l’Éternel qui le prévient. Pourquoi ? C’est qu’il s’agit de son peuple. Balaam doit comprendre par là combien l’affaire est grave et quel intérêt Dieu y attache.

Verset 11

Il est singulier que Balak ait dit : le peuple, au lieu de un peuple (verset 5). Il semble qu’il suppose Israël connu de Balaam.

Verset 13

Balaam rapporte aux envoyés le refus divin, mais en omettant le considérant décisif qui le déterminait et qui aurait mis fin à toute espérance de leur part ; cette manière de faire trahit chez lui le secret désir de ne pas rompre entièrement la négociation.

Verset 14

Les princes de Moab. Il n’est pas parlé des délégués madianites ; ils ne jouent ici qu’un rôle secondaire.

Verset 15

Seconde ambassade ; consentement de Balaam (15-21)

De plus haute dignité : c’était un appel à la vanité de Balaam, ajouté à celui qui était fait à sa cupidité.

Verset 16

Que rien ne t’empêche, en hébreu : Ne te laisse pas empêcher ; surmonte tout obstacle !

Verset 18

Les principes énoncés par Balaam sont excellents ; mais le penchant de son cœur lutte avec eux. C’est là ce qui constitue l’épreuve. Il faut bien peu connaître le cœur humain pour trouver là une contradiction du récit.

Verset 19

C’est à ce moment que commence d’une manière presque imperceptible la déviation du droit chemin qui conduira Balaam à sa ruine. La défense de l’Éternel avait été claire et précise ; le motif donné par lui, péremptoire. La première faute de Balaam consiste à envisager et à faire envisager aux messagers la question comme encore ouverte. La convoitise remporte ainsi sa première victoire sur le devoir. Après que l’Éternel avait parlé, il n’y avait plus à dire : Que je sache ce que l’Éternel me dira encore !

Verset 20

La liberté humaine est un privilège tellement précieux que Dieu la respecte jusque dans ses écarts. L’Éternel ne revient point à la position précédente, maintenant dépassée ; il suit Balaam dans la phase nouvelle où il vient d’entrer : Ma défense ne t’a pas suffi. Soit ! N’en tiens pas compte. Puisque malgré tout tu veux aller et parler, va donc et parle ! Mais sache que c’est une pente glissante que le chemin sur lequel tu t’engages. Prends garde à la manière dont tu parleras.

Dieu aurait tiré sa gloire du refus absolu de Balaam, surtout s’il l’avait motivé comme l’Éternel lui-même, verset 12. Mais il se réserve de la tirer plus magnifiquement encore de sa parole, pourvu qu’il résiste à la tentation au devant de laquelle il marche. Ainsi s’explique le consentement qu’il lui accorde. En même temps l’avertissement qu’il lui donne doit lui faire comprendre qu’il pourrait bien être appelé à faire le sacrifice de son salaire, s’il est fidèle ; sinon, qu’il expiera sa désobéissance.

Verset 21

Son ânesse. L’âne est en Orient un animal plus noble que chez nous. C’est la monture favorite des gens de qualité.

Verset 22

L’apparition de l’ange de l’Éternel et la résistance de l’ânesse (22-35)

La scène suivante ne se comprend, à la suite de l’autorisation accordée à Balaam, que si on l’explique par l’intention de Dieu de lui manifester, d’une manière plus significative et plus menaçante encore que par un simple avertissement en paroles le danger qu’il court sur la voie dans laquelle il vient d’entrer. Balaam n’ayant pas opposé, comme il l’aurait dû, un refus net a la seconde demande de Balak et Dieu ne voulant pas d’une obéissance contrainte, il a consenti à son désir sans l’approuver. Mais, par un avertissement dont le souvenir ne pourra s’effacer du cœur et de la conscience de Balaam, il a soin de lui inculquer le danger qu’entraînerait pour lui sur cette voie équivoque le moindre faux pas. Et ce n’est pas seulement par intérêt pour Balaam que Dieu agit ainsi ; c’est aussi en vue de son peuple et de sa propre gloire ; car, une fois que Balaam ne peut se décider au sacrifice qu’il aurait dû faire, Dieu peut tirer parti de son témoignage et empêcher qu’une infidélité de la part de cet homme, envisagé comme inspiré, n’apporte un surcroît de force aux ennemis d’Israël et ne brise le courage de son peuple. Ainsi s’expliquent l’apparition de l’ange de l’Éternel et la scène de l’ânesse. La gravité de la situation actuelle d’Israël motive cette intervention divine.

Dieu s’irrita : lors même qu’il lui avait dit : Pars avec eux ! (verset 20). Après que Dieu avait accédé à son désir Balaam aurait pu s’arrêter encore ; car il n’avait pu méconnaître le sentiment désapprobateur de Dieu. Au moment même de partir, il pouvait encore annoncer son refus aux envoyés. Mais il n’en fait rien et persiste. De là le courroux de Dieu qui le voit allant, dit le texte ; marchant en avant, comme s’il était sûr de la bonté de sa voie ; de là aussi le caractère humiliant et menaçant de la manifestation qui va suivre. Il nous paraît évident que cette scène eut lieu tôt après le départ de Balaam. On peut, malgré la différence de la situation, comparer Exode 4.21, où Moïse se trouve tout à coup arrêté par une manifestation du courroux de l’Éternel durant son retour en Égypte, entrepris cependant sur l’ordre de Dieu lui-même. Comparez ainsi le fait, raconté Nombres 11.33 , du courroux de l’Éternel s’allumant à l’occasion du don des cailles reçu d’une manière profane.

L’ange de l’Éternel : voir Genèse, chapitre 21, appendice.

Doit-on, dans la scène suivante, placer l’apparition de l’ange dans le domaine des sens ou dans le monde supersensible ? On ne comprend pas dans le premier cas que Balaam n’ait pas perçu cette apparition ; dans le second cas, qu’elle ait pu être perçue par l’ânesse. Sans doute les mots du verset 31 : Et l’Éternel dessilla les yeux de Balaam, peuvent aider à résoudre la première difficulté ; mais pas complètement. Car ce terme dessiller les yeux peut désigner la mise en activité de l’organe supérieur nécessaire pour percevoir une apparition de ce genre. Plusieurs interprètes ont été ainsi amenés à penser que toute la scène suivante a été uniquement une vision intérieure envoyée à Balaam comme avertissement. Mais le chemin creux, la triple apparition de l’ange, le pied froissé de Balaam, ne permettent guère cette explication, sans que pourtant l’on puisse la déclarer impossible. Il est à remarquer que, dans plusieurs cas d’apparitions, le phénomène raconté, tout en étant essentiellement un fait supersensible, fait néanmoins sentir son action jusque dans le monde extérieur, ce qui en prouve la réalité. Ainsi dans la scène Actes 9.3-7, l’apparition du Seigneur, tout en étant destinée personnellement à Paul et n’étant perçue complètement que par lui, se fait néanmoins sentir dans le monde des sens. Car les compagnons de Paul perçoivent une lumière et un bruit, sans discerner, comme lui, la personne du Seigneur ni comprendre ses paroles. Dans la manifestation divine racontée Jean 12, la voix céleste n’est perçue que par Jésus d’une manière complètement distincte et ne l’est qu’à des degrés variables par les personnes qui entourent le Seigneur ; pour les unes c’est bien une voix ; pour les autres, c’est simplement un bruit, un roulement de tonnerre. Dans le cas qui nous occupe nous rencontrons un phénomène tout semblable, mais avec cette différence que celui qui ne discerne pas, c’est l’être le plus clairvoyant et que celui qui a l’aperception, c’est l’être privé d’intelligence. L’intention de cette différence est évidente.

L’épée nue. Comme pour dire : Si tu veux forcer le passage, je frapperai et toi et ton maître.

Verset 24

Un chemin creux. On entend généralement par là un endroit resserré et creux du chemin suivi jusqu’ici et dans lequel Balaam était parvenu à faire rentrer l’ânesse. Mais on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un chemin de traverse auquel était arrivée l’ânesse en allant à travers champs. Cette déviation de l’animal du droit chemin serait pour Balaam une image de sa propre déviation du droit chemin de l’obéissance ; et le traitement qu’il fait subir à l’animal représenterait celui qu’il aurait mérité de la part de Dieu.

Verset 25

L’ânesse se trouvant de nouveau en face de l’ange, parvient à l’éviter et à passer en serrant contre le mur le pied du prophète.

Verset 26

Un peu plus loin, dans un endroit du chemin plus resserré encore, elle voit pour la troisième fois devant elle l’apparition menaçante, sans qu’il soit possible cette fois de passer à côté. Alors elle s’affaisse et Balaam, qui ne voit toujours rien, l’accable de coups.

Verset 28

L’Éternel ouvrit la bouche de l’ânesse. C’est sur ces mots que repose l’interprétation qui attribue à l’animal un vrai langage humain et c’est bien là en effet le sens qui se présente le premier à la pensée. Mais comment comprendre dans ce cas que Balaam ne témoigne aucune surprise et qu’il entre tout simplement en conversation avec l’animal ? Ne devons-nous donc pas plutôt placer ce trait dans le même domaine intermédiaire entre le monde des sens et le monde spirituel, auquel paraît appartenir l’apparition tout entière ? Le côté extérieur du fait fut sans doute l’intonation intelligente et parfaitement intelligible du cri de l’animal que le contact immédiat avec un être d’un monde supérieur élevait, d’une manière que nous ne pouvons déterminer, à un état supérieur à sa nature. Il est bien remarquable que dans les paroles attribuées à l’ânesse rien absolument ne dépasse les vraies sensations et, si l’on peut ainsi dire, les vraies pensées d’un animal placé dans cette situation. Mais le cri plaintif et plein de reproche par lequel elle exprime ses sensations douloureuses prend un caractère si intelligible qu’il retentit dans l’esprit et à l’oreille de Balaam comme un véritable langage humain. Quelle différence avec les scènes des poètes païens où sont décrits des faits analogues, telles que celles du cheval d’Achille qui révèle à son maître les secrets de l’avenir !

Verset 29

Tu t’es jouée de moi : Tu as abusé de la personne de ton maître (Juges 19.25 ; 1 Samuel 31.4).

Verset 31

Et l’Éternel dessilla les yeux… L’action supérieure qui vient de s’exercer sur l’intelligence de l’ânesse pour faire de son cri un analogue de la parole humaine, s’exerce maintenant sur Balaam pour lui faire discerner la présence de l’être supérieur qui entrave sa marche. Comparez comme faits analogues Genèse 19.2 et Luc 24.16 ; Luc 24.31.

Verset 32

Pour te faire obstacle, littéralement : comme opposant.

J’ai vu que ce chemin te mène à la ruine. Les mots du texte sont obscurs. On peut traduire aussi : Ce voyage m’est odieux, ou : Sur ce chemin tu te heurtes à moi. Quoi qu’il en soit, on comprend que l’intention de Dieu est d’exclure chez Balaam toute velléité de désobéissance, en lui faisant comprendre, par cette épée nue qui le menace, ce qui l’attend dans ce cas. De plus, à la crainte du châtiment s’ajoute pour Balaam l’humiliation qu’il doit ressentir de recevoir instruction, lui le prophète qui participe à la science de Dieu (Nombres 24.4), par le moyen d’une ânesse et d’avoir été préservé par elle de la mort. Quelle leçon de défiance de lui-même ! Après cela il ne pourra ni oublier ni fouler aux pieds l’avertissement du verset 35 (répétition de celui du verset 20) : Et tu ne diras que ce que je te dirai. Ces mots révèlent le but de toute la scène.

Verset 34

Sous ces impressions, Balaam offre maintenant à Dieu de s’abstenir de ce voyage, dont il comprend le danger. Mais il est trop tard pour prendre ce parti. C’était plus tôt qu’il fallait accomplir le sacrifice. La partie est maintenant engagée ; elle doit se jouer jusqu’au bout.

J’ai péché : en m’irritant follement contre l’être inintelligent qui voyait plus clair que moi et me préservait de tes coups. Mais j’ai agi ainsi par ignorance, non par résistance à ta volonté.

Verset 35

Va avec ces hommes. Il a renoncé à glorifier Dieu par son refus pur et simple ; sa tâche, comme son salut, sera maintenant de le glorifier par sa parole.

Ce que je te dirai. L’ange de l’Éternel s’identifie comme toujours avec l’Éternel lui-même.

Verset 36

Arrivée et préparatifs (36-41)

Balak, pour faire honneur à l’homme de Dieu qui a fait un si long voyage à sa demande et de qui il attend un si grand service, va à sa rencontre jusqu’à la frontière de son pays.

Ir-Moab (la ville de Moab), appelée aussi Ar-Moab, située sur le cours supérieur de l’Arnon (Nombres 21.13 ; Nombres 21.15, note). Depuis que les Amorrhéens avaient fait la conquête de tout le pays situé au nord de cette rivière, cette ville, qui avait été peut-être la capitale de Moab, en était devenue la ville frontière. La capitale de Moab était sans doute alors Rabbath-Moab, à trente kilomètres plus au sud (L’une ou l’autre des deux villes correspond à l’Aréopolis des Grecs).

Verset 37

Balak a été blessé dans son orgueil par le premier refus de Balaam ; il suppose que celui-ci ne l’envisageait pas comme un souverain assez riche et assez puissant pour le récompenser dignement.

Verset 38

Balaam rectifie indirectement cette idée en lui faisant entendre que dans cette affaire il dépend d’un Être supérieur sans lequel il ne peut rien.

Verset 39

Kiriath-Chutsoth (la ville des rues) devait être située sur les hauteurs appelées Bamoth-Baal (hauteurs de Baal) et appartenant au Djébel Attarus, la chaîne qui borde à l’est la mer Morte et d’où le regard plonge dans ce bassin profond. Ces localités avaient été conquises autrefois sur Moab par les Amorrhéens. Mais depuis la défaite de ceux-ci par les Israélites, qui n’avaient pas encore pris possession de la contrée, Balak pouvait user de celle-ci comme si elle lui avait encore appartenu.

Verset 40

Et Balak sacrifia : probablement à l’honneur de Jéhova, que Balaam invoquait et dont il voulait gagner la faveur.

Et il en envoya des portions. Comparez la conduite de Samuel avec Saül (1 Samuel 9.23-24).

Verset 41

L’extrémité du peuple : l’une des extrémités du camp, dressé dans la plaine du Jourdain qui était située beaucoup plus au nord, mais qu’on pouvait apercevoir depuis cette hauteur. Plusieurs entendent par l’extrémité du camp la totalité du camp, vu d’une extrémité jusqu’à l’autre ; mais il aurait fallu dire : les extrémités du camp, Voir du reste à Nombres 23.13 et Nombres 24.1.

Informations bibliographiques
bibliography-text="Commentaire sur Numbers 22". "La Bible Annot�e de Neuch�tel". https://www.studylight.org/commentaries/fre/neu/numbers-22.html.
 
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