Les v. 1 à 16 du chap. 1° servent de préface au livre des Juges. «Et il arriva, après la mort de Josué...» Ces paroles sont le point de départ du livre tout entier. Il nâest pas encore proprement question du déclin, mais de ce qui le précède. Le récit qui va suivre est dominé par le fait que Josué, type de lâEsprit de Christ en puissance, nâétait plus au milieu dâIsraël. De même aussi, le temps dâactivité sans mélange de lâEsprit de Dieu dura peu dans lâhistoire de lâÃglise. Sans doute, comme au temps des «anciens dont les jours se prolongèrent après Josué» (2:7), la présence des apôtres mit une digue à lâinvasion du mal, mais, dans lâun et lâautre cas, la présence et lâactivité de certains principes délétères faisaient pressentir lâinvasion prochaine du déclin, une fois lâobstacle enlevé.
En apparence, tout allait bien au milieu dâIsraël. Les tribus prennent leurs positions en face dâun monde ennemi. Elles interrogent lâÃternel, pour savoir qui montera le premier contre le Cananéen. Dieu répond: «Juda montera; voici, jâai livré le pays en sa main» (v. 1-2). Cette parole était très claire; Juda pouvait compter implicitement sur la fidélité de Dieu à sa promesse; mais déjà nous voyons la simplicité de foi lui manquer, et sa dépendance de lâÃternel avoir plus dâapparence que de réalité. «Et Juda dit à Siméon, son frère: Monte avec moi dans mon lot, et faisons la guerre contre le Cananéen; et moi aussi jâirai avec toi dans ton lot. Et Siméon alla avec lui» (v. 3). Juda semble se défier de ses forces, mais, au lieu de regarder au Dieu dâIsraël pour trouver en lui sa ressource, il la cherche en Siméon, et manque en réalité de confiance en lâÃternel. Il est vrai quâil ne sâallie pas aux ennemis de Dieu; sâil manque de foi, il recourt à son frère Siméon, rien quâà son frère; et cependant, sous prétexte «dâavancer lâÅuvre de Dieu», nous voyons déjà poindre le principe des alliances ou associations humaines volontaires qui est devenu le principe dominant actuel de toute activité dans la chrétienté. Dieu avait-il besoin de Siméon pour donner à Juda la part de son héritage?
Le résultat de cette action commune fut magnifique en apparence; Josué 19:9, nous apprend que «la part des fils de Juda était trop grande pour eux». Mais le lot des fils de Siméon ne fut pas le meilleur, car il fut pris de ce que Juda ne pouvait conserver; ils reçurent ainsi leur héritage du superflu dâun autre, à la dernière limite méridionale du pays dâIsraël, aux confins qui regardent le désert. Ce nâest pas que Dieu désavoue lâune ni lâautre tribu, car il est dit (v. 4): «LâÃternel livra le Cananéen et le Phérésien en leur main»; mais le combat entrepris sur le pied dâune alliance humaine, se ressent plus ou moins de son origine et en porte le caractère. Les alliés saisissent Adoni-Bézek, et lui coupent «les pouces des mains et des pieds» (v. 6). Ãtait-ce donc ce que Dieu commanda jadis et ce que Josué fit aux rois de Jéricho, dâAï, de Jérusalem, de Makkéda, et à tous les rois de la montagne et de la plaine? Non certes; cette mutilation de lâennemi est simplement dans lâordre des représailles humaines. Câétait aussi la coutume dâAdoni-Bézek (v. 7), dâhumilier ainsi son ennemi tout en le gardant à sa cour, car sa présence rehaussait la gloire du vainqueur. De pareils faits se reproduisent dans lâhistoire de lâÃglise. Que de fois elle a fait montre de ses victoires passées pour sâexalter à ses propres yeux et se faire valoir aux yeux des autres! Lâennemi humilié a souvent une conscience plus accessible que le peuple de Dieu prospère. Frappé par Juda, Adoni-Bézek reconnaît avoir mal agi envers les rois vaincus, et se courbe sous le jugement de Dieu.
«Et Juda sâen alla contre le Cananéen qui habitait à Hébron (or le nom de Hébron était auparavant Kiriath-Arba), et ils frappèrent Shéshaï, et Akhiman, et Thalmaï. Et de là , il sâen alla contre les habitants de Debir; or le nom de Debir était auparavant Kiriath-Sépher» (v. 10-11). Josué 15:14-15, rapporte à Caleb ce que notre chapitre attribue à Juda. Câest que, dans cette occasion, Caleb, par son énergie, sa persévérance et sa foi, imprima son cachet à toute sa tribu. Tel nâétait pas le caractère des premiers jours de lâÃglise, où tous nâétaient quâun cÅur et quâune âme et marchaient avec une même foi vers le but. La prépondérance de la foi individuelle ressortira dâune manière bien plus évidente au cours de lâhistoire des juges, suscités pour délivrer Israël; nous la retrouvons dans les réveils que Dieu produit de nos jours. Humiliante pour lâensemble, elle est encourageante pour lâindividu. Quel honneur pour Caleb, que Juda ait remporté la victoire! Nâoublions pas dâautre part, que chacun de nous peut aussi contribuer à donner un cachet de faiblesse à lâensemble du peuple de Dieu. Ah! quâil y ait aujourdâhui beaucoup de Caleb au milieu de lâÃglise infidèle!
Lâhistoire de cet homme de Dieu nous offre un autre encouragement. La fidélité individuelle fait souche et éperonne toujours, même aux plus mauvais temps de lâÃglise, lâénergie spirituelle chez dâautres. Othniel, témoin de la foi de Caleb, est poussé à agir de même. Il fait sous lui ses premières armes, et sâacquiert un bon degré, car il devient le premier juge dâIsraël. Mais il ne lui suffit pas dâêtre de la famille de Caleb; il combat pour la jouissance dâune relation nouvelle, celle de lâépoux avec son épouse, et reçoit Acsa pour femme. Le chap. 15 de Josué nous raconte ce fait dans les mêmes termes, car aux temps du déclin, comme aux jours les plus prospères de lâÃglise, la foi individuelle jouit des mêmes privilèges, aussi complets, aussi étendus dans un cas que dans lâautre. LâÃglise a été infidèle et a perdu le sentiment de sa relation avec Celui qui, par sa victoire, lâavait acquise pour lui-même, mais cette relation peut être connue et goûtée aujourdâhui dans sa plénitude par chaque fidèle.
Cette union apporte à Othniel une possession personnelle dans lâhéritage de celui dont il est devenu le fils. Othniel a désormais un domaine à lui. Notre part ressemble à la sienne; nous réalisons notre position céleste, lorsque nous avons pris position vis-à -vis du monde et que nos cÅurs sont attachés à la personne de Christ. Toutefois ce précieux domaine ne suffit pas à Acsa. Le champ du midi serait pour elle un champ stérile, si son père ne lui donnait les fontaines qui le fructifient. Acsa obtient les sources dâen haut et celles dâen bas, comme en dâautres circonstances le fidèle, traversant la vallée de Baca, dâune part la réduit en fontaines et voit de lâautre les sources du ciel la combler de bénédictions. Acsa est une femme avide, mais avide des bénédictions de Canaan. Câest une condition affreuse que celle dâun chrétien avide du monde, mais Dieu approuve et scelle de tout son plaisir un chrétien avide du ciel. Il répond à cette avidité par des sources abondantes, par des bénédictions spirituelles qui découlent sur nous et qui coulent de nous; il répond à lâavidité du monde par des châtiments, comme celui qui tomba sur Acan quand il convoita lâinterdit.
Le v. 16, qui clôt cette première division du livre, nous parle des «fils du Kénien, beau-père de Moïse». Lâhistoire de cette famille sortie de Madian et alliée de Moise, est pleine dâintérêt. Lorsque Jéthro, après avoir visité Israël au désert, sâen fut retourné dans son pays (Ex. 18:27), Moïse demanda à son fils Hobab de «servir dâyeux» au peuple dâIsraël, pour le conduire dans les campements du désert (Nomb. 10:29-32), et, malgré son refus, ses fils firent comme Caleb, et suivirent fidèlement les marches du peuple de Dieu (Jug. 4:11; 1 Sam. 15:6). Semblables à Rahab, ces enfants dâun étranger dâentre les nations, montèrent de Jéricho, la ville des palmiers (1:16; cf. Deut. 34:3), pour être associés au sort dâIsraël. Ils firent comme Ruth, en sâattachant à Juda pour ne plus le quitter. Comme Othniel, ils sâallièrent à la famille de Caleb, et dans cette famille ils eurent plus spécialement pour chef le fidèle Jahbets, le fils de douleur, qui fit des demandes intelligentes au Dieu dâIsraël, et à qui lâÃternel accorda ce quâil avait demandé. (1 Chron. 2:50-55; 4:9-10). Câest des Kéniens que descendirent les Récabites (1 Chr. 3:55; 2 Rois 10:15; Jér. 35), et quand la Parole clôt leur histoire, elle les loue comme de vrais Nazaréens au milieu de la ruine dâIsraël. Mais, hélas! ce résidu fidèle, sorti dâentre les nations, joue aussi son rôle dans le livre du déclin. Nous le constaterons au chap. 4, par lâexemple dâHéber, le Kénien. Je ne puis me défendre dâappliquer cette histoire des Kéniens à lâÃglise sortie dâentre les nations. Elle aussi a perdu son témoignage, mais, comme les fils de Récab parmi les Israélites, un résidu fidèle au milieu de la ruine peut marcher jusquâau bout dans une sainte séparation du mal, en obéissant à la parole que son Chef lui a transmise.
Les versets que nous avons passés en revue signalent quelques rares symptômes de décadence au milieu dâun état encore florissant du peuple; ici nous voyons en quoi le déclin proprement dit consiste. Le déclin diffère de la ruine; cette dernière est la pleine maturité du déclin, telle que le chap. 2 nous la présente. Lâune et lâautre reparaissent dans lâhistoire de lâÃglise; il suffit, pour sâen convaincre, de lire les sept épîtres de lâApocalypse. Ãphèse abandonnant son premier amour, câest le déclin; la ruine, câest Laodicée, obligeant le Seigneur à la vomir de sa bouche.
En quoi donc consiste le déclin? Un mot, un seul mot le caractérise: la mondanité. Ce mot signifie la communauté de cÅur, de principes ou de marche avec le monde. Pour découvrir lâorigine de la décadence, il faut toujours remonter là . Certes ce «garde à vous» est intelligible. Quâil serait facile à éviter, ce piège, si le cÅur des enfants de Dieu était intègre devant Lui! Mais Israël, au lieu de déposséder les Cananéens, les craint, les supporte, sâétablit avec eux; lâÃglise, vue dans son ensemble, sâallie avec le monde. Nous verrons plus tard les résultats désastreux de cette alliance; pour le moment, la parole de Dieu se borne à établir cette vérité, quâIsraël ne se sépara pas des nations en Canaan.
Un second principe ressort de notre passage. Le déclin est un fait graduel. Dâune étape à lâautre, Israël en descend la pente jusquâau moment solennel où lâange du Seigneur quitte sans retour Guilgal pour Bokim. Ce qui est vrai dâIsraël lâest aussi de lâÃglise (Apoc. 2-3), lâest encore des individus. Un chrétien, après avoir marché dans la puissance du Saint Esprit, sâil donne au monde une petite place dans son cÅur, sera peu à peu envahi, subjugué par cet ennemi quâil a cessé de combattre, et finira peut-être sa carrière dans lâhumiliation cuisante de la défaite.
Les chap. 19-21 de notre livre, sont la narration dâévénements qui précèdent historiquement le premier chapitre. Nous reviendrons à lâoccasion sur ce détail, mais je le mentionne ici pour faire ressortir un troisième principe, en apparence contradictoire du second, câest que lâétat moral du peuple était dès lâorigine entièrement perdu, avant que Dieu lâeût livré à ses ennemis. De même, dans lâhistoire de lâÃglise, à peine le dernier apôtre eut-il quitté la scène, quâun abîme effrayant se creusa entre les principes de lâAssemblée primitive et ceux des temps immédiats qui suivirent. Les chrétiens perdirent subitement jusquâaux notions élémentaires du salut par grâce, de lâÅuvre de la croix, de la justification par la foi1.
1 Voyez à ce sujet lâimportant traité: Christianisme et non Chrétienté, par J.N.D.
Ces deux principes, le déclin graduel et la déchéance subite, ont pour nous une grande portée pratique. Le premier nous met en garde contre la moindre tendance mondaine: le second nous montre que, ne pouvant rien fonder sur nous-mêmes et sur le vieil homme perdu, nous nâavons quâà le tenir pour mort sur la croix, où le jugement de Dieu lâa placé en Christ, afin que nous dépendions entièrement de Dieu et de sa grâce.
Entrons maintenant dans le détail de notre passage.
«Juda sâen alla avec Siméon, son frère, et ils frappèrent le Cananéen qui habitait à Tsephath, et détruisirent entièrement la ville; et on appela la ville du nom de Horma», qui signifie: «entière destruction». Ce fait est remarquable et rappelle le livre de Josué. Juda rejette toute alliance, toute communion avec le Cananéen. Les villes fortes des Philistins sont conquises. «Et lâÃternel fut avec Juda». Mais pourquoi ce dernier ne prit-il possession que de la montagne? Pourquoi ne pas déposséder les habitants de la vallée? Hélas! il craint leurs «chars de fer». En apparence, défiant de ses forces, Juda sâétait allié avec Siméon, et câétait, nous lâavons vu, se défier de Dieu en une mesure. La crainte de la puissance du monde suit le manque de confiance en la puissance de Dieu. Nâavaient-ils pas jadis, en un jour de victoire, brûlé au feu les chars de Jabin? (Jos. 11:4, 6, 9). Dieu nâavait-il pas promis à la maison de Joseph, quâelle déposséderait le Cananéen, quoiquâil eût des chars de fer et quâil fût fort? (Jos. 17:18). Quâétait-ce donc pour lâÃternel que des chars de fer? Lorsque notre confiance en Lui et en ses promesses est ébranlée, nous disons comme les espions envoyés par Moïse pour reconnaître le pays: «Nous y avons vu les géants, fils dâAnak ...; et nous étions à nos yeux comme des sauterelles, et nous étions de même à leurs yeux» (Nomb. 13:34).
Quel contraste chez Caleb! (v. 20). Ce dernier dépossède lâennemi, et même les trois fils dâAnak, de tout son héritage. En un temps de déclin, la foi individuelle peut réaliser ce dont lâaction collective est incapable.
Au v. 21, les fils de Benjamin ne dépossèdent pas le Jébusien, habitant de Jérusalem. Juda, en des jours prospères (v. 8), avait frappé cette ville au tranchant de lâépée et lâavait livrée au feu. Mais les troupes de lâennemi vaincu sont habiles à se reformer et ne se tiennent jamais pour battues. Le relâchement dâIsraël leur offre une occasion favorable, et câest ainsi que «le Jébusien a habité avec les fils de Benjamin à Jérusalem jusquâà ce jour».
Lâhistoire de la maison de Joseph (v. 22-26), rappelle celle de Rahab, au chap. 2 de Josué, mais avec une différence capitale: lâÅuvre de foi est absente. Lâacte de lâhomme de Luz, livrant sa ville aux fils dâIsraël, est dâun traître, non dâun croyant. Joseph lâamorce en lui promettant la vie sauve. Aussi retourne-t-il au monde, après sa délivrance, au lieu de sâassocier, comme Rahab, au peuple de Dieu, et rebâtit-il, dans le pays des Héthiens, ce Luz que lâÃternel venait de détruire.
Nombreuses, hélas! sont les villes que Manassé ne dépossède pas. Remarquons ce mot: «Le Cananéen voulut habiter dans ce pays-là ». Pour le croyant affaibli, la volonté du monde a plus de force que la parole et les promesses de Dieu. Lorsque Israël «fut devenu fort», il rendit, à la vérité, le Cananéen tributaire, mais câétait le dominer, non pas le déposséder. La chrétienté, devenue puissante et riche, fit de même envers le paganisme. Il pouvait convenir aux voies providentielles de Dieu envers le monde quâil en fût ainsi, mais la foi nây était pour rien.
Ãphraïm et Zabulon laissent le Cananéen sâétablir au milieu dâeux (v. 29, 30). Désormais, le monde fait partie du peuple de Dieu. Aser et Nephthali (v. 31-33), font un pas de plus; ils habitent au milieu des Cananéens. Israël est submergé par eux.
Un trait encore, et le tableau sera complet: «Les Amoréens repoussèrent dans la montagne les fils de Dan, car ils ne leur permirent pas de descendre dans la vallée» (v. 34). Le monde obtient enfin ce quâil cherchait; il dépouille les enfants de Dieu de leur héritage. Satan a toujours pour but de nous priver des biens qui font notre joie et notre force, et nây réussit que trop.
Souvenons-nous de cette gradation dans le déclin. Pauvre Israël! nous le verrons bientôt abandonnant le Dieu qui lâavait tiré du pays dâÃgypte, se prosterner devant les faux dieux, et, comme conséquence de son idolâtrie, opprimé et mis au pillage par ses ennemis.
Mes frères! nous appartenons tous à la période du déclin. Il est trop tard pour le retour collectif de lâÃglise; remontons, du moins, individuellement ce chemin glissant. Prenons garde au monde; défions-nous de ses appâts les plus inoffensifs. Soyons, en ces temps de la fin, des fidèles à qui le Seigneur peut dire: «Jâentrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi» (Apoc. 3:20). Distinguons-nous par une sainte séparation du monde et une communion grandissante avec le Seigneur jusquâau bout de notre carrière.
versets 1-36
Chapitre 1er
Condition dâIsraël à la mort de Josué (v. 1-16)
Les v. 1 à 16 du chap. 1° servent de préface au livre des Juges. «Et il arriva, après la mort de Josué...» Ces paroles sont le point de départ du livre tout entier. Il nâest pas encore proprement question du déclin, mais de ce qui le précède. Le récit qui va suivre est dominé par le fait que Josué, type de lâEsprit de Christ en puissance, nâétait plus au milieu dâIsraël. De même aussi, le temps dâactivité sans mélange de lâEsprit de Dieu dura peu dans lâhistoire de lâÃglise. Sans doute, comme au temps des «anciens dont les jours se prolongèrent après Josué» (2:7), la présence des apôtres mit une digue à lâinvasion du mal, mais, dans lâun et lâautre cas, la présence et lâactivité de certains principes délétères faisaient pressentir lâinvasion prochaine du déclin, une fois lâobstacle enlevé.
En apparence, tout allait bien au milieu dâIsraël. Les tribus prennent leurs positions en face dâun monde ennemi. Elles interrogent lâÃternel, pour savoir qui montera le premier contre le Cananéen. Dieu répond: «Juda montera; voici, jâai livré le pays en sa main» (v. 1-2). Cette parole était très claire; Juda pouvait compter implicitement sur la fidélité de Dieu à sa promesse; mais déjà nous voyons la simplicité de foi lui manquer, et sa dépendance de lâÃternel avoir plus dâapparence que de réalité. «Et Juda dit à Siméon, son frère: Monte avec moi dans mon lot, et faisons la guerre contre le Cananéen; et moi aussi jâirai avec toi dans ton lot. Et Siméon alla avec lui» (v. 3). Juda semble se défier de ses forces, mais, au lieu de regarder au Dieu dâIsraël pour trouver en lui sa ressource, il la cherche en Siméon, et manque en réalité de confiance en lâÃternel. Il est vrai quâil ne sâallie pas aux ennemis de Dieu; sâil manque de foi, il recourt à son frère Siméon, rien quâà son frère; et cependant, sous prétexte «dâavancer lâÅuvre de Dieu», nous voyons déjà poindre le principe des alliances ou associations humaines volontaires qui est devenu le principe dominant actuel de toute activité dans la chrétienté. Dieu avait-il besoin de Siméon pour donner à Juda la part de son héritage?
Le résultat de cette action commune fut magnifique en apparence; Josué 19:9, nous apprend que «la part des fils de Juda était trop grande pour eux». Mais le lot des fils de Siméon ne fut pas le meilleur, car il fut pris de ce que Juda ne pouvait conserver; ils reçurent ainsi leur héritage du superflu dâun autre, à la dernière limite méridionale du pays dâIsraël, aux confins qui regardent le désert. Ce nâest pas que Dieu désavoue lâune ni lâautre tribu, car il est dit (v. 4): «LâÃternel livra le Cananéen et le Phérésien en leur main»; mais le combat entrepris sur le pied dâune alliance humaine, se ressent plus ou moins de son origine et en porte le caractère. Les alliés saisissent Adoni-Bézek, et lui coupent «les pouces des mains et des pieds» (v. 6). Ãtait-ce donc ce que Dieu commanda jadis et ce que Josué fit aux rois de Jéricho, dâAï, de Jérusalem, de Makkéda, et à tous les rois de la montagne et de la plaine? Non certes; cette mutilation de lâennemi est simplement dans lâordre des représailles humaines. Câétait aussi la coutume dâAdoni-Bézek (v. 7), dâhumilier ainsi son ennemi tout en le gardant à sa cour, car sa présence rehaussait la gloire du vainqueur. De pareils faits se reproduisent dans lâhistoire de lâÃglise. Que de fois elle a fait montre de ses victoires passées pour sâexalter à ses propres yeux et se faire valoir aux yeux des autres! Lâennemi humilié a souvent une conscience plus accessible que le peuple de Dieu prospère. Frappé par Juda, Adoni-Bézek reconnaît avoir mal agi envers les rois vaincus, et se courbe sous le jugement de Dieu.
«Et Juda sâen alla contre le Cananéen qui habitait à Hébron (or le nom de Hébron était auparavant Kiriath-Arba), et ils frappèrent Shéshaï, et Akhiman, et Thalmaï. Et de là , il sâen alla contre les habitants de Debir; or le nom de Debir était auparavant Kiriath-Sépher» (v. 10-11). Josué 15:14-15, rapporte à Caleb ce que notre chapitre attribue à Juda. Câest que, dans cette occasion, Caleb, par son énergie, sa persévérance et sa foi, imprima son cachet à toute sa tribu. Tel nâétait pas le caractère des premiers jours de lâÃglise, où tous nâétaient quâun cÅur et quâune âme et marchaient avec une même foi vers le but. La prépondérance de la foi individuelle ressortira dâune manière bien plus évidente au cours de lâhistoire des juges, suscités pour délivrer Israël; nous la retrouvons dans les réveils que Dieu produit de nos jours. Humiliante pour lâensemble, elle est encourageante pour lâindividu. Quel honneur pour Caleb, que Juda ait remporté la victoire! Nâoublions pas dâautre part, que chacun de nous peut aussi contribuer à donner un cachet de faiblesse à lâensemble du peuple de Dieu. Ah! quâil y ait aujourdâhui beaucoup de Caleb au milieu de lâÃglise infidèle!
Lâhistoire de cet homme de Dieu nous offre un autre encouragement. La fidélité individuelle fait souche et éperonne toujours, même aux plus mauvais temps de lâÃglise, lâénergie spirituelle chez dâautres. Othniel, témoin de la foi de Caleb, est poussé à agir de même. Il fait sous lui ses premières armes, et sâacquiert un bon degré, car il devient le premier juge dâIsraël. Mais il ne lui suffit pas dâêtre de la famille de Caleb; il combat pour la jouissance dâune relation nouvelle, celle de lâépoux avec son épouse, et reçoit Acsa pour femme. Le chap. 15 de Josué nous raconte ce fait dans les mêmes termes, car aux temps du déclin, comme aux jours les plus prospères de lâÃglise, la foi individuelle jouit des mêmes privilèges, aussi complets, aussi étendus dans un cas que dans lâautre. LâÃglise a été infidèle et a perdu le sentiment de sa relation avec Celui qui, par sa victoire, lâavait acquise pour lui-même, mais cette relation peut être connue et goûtée aujourdâhui dans sa plénitude par chaque fidèle.
Cette union apporte à Othniel une possession personnelle dans lâhéritage de celui dont il est devenu le fils. Othniel a désormais un domaine à lui. Notre part ressemble à la sienne; nous réalisons notre position céleste, lorsque nous avons pris position vis-à -vis du monde et que nos cÅurs sont attachés à la personne de Christ. Toutefois ce précieux domaine ne suffit pas à Acsa. Le champ du midi serait pour elle un champ stérile, si son père ne lui donnait les fontaines qui le fructifient. Acsa obtient les sources dâen haut et celles dâen bas, comme en dâautres circonstances le fidèle, traversant la vallée de Baca, dâune part la réduit en fontaines et voit de lâautre les sources du ciel la combler de bénédictions. Acsa est une femme avide, mais avide des bénédictions de Canaan. Câest une condition affreuse que celle dâun chrétien avide du monde, mais Dieu approuve et scelle de tout son plaisir un chrétien avide du ciel. Il répond à cette avidité par des sources abondantes, par des bénédictions spirituelles qui découlent sur nous et qui coulent de nous; il répond à lâavidité du monde par des châtiments, comme celui qui tomba sur Acan quand il convoita lâinterdit.
Le v. 16, qui clôt cette première division du livre, nous parle des «fils du Kénien, beau-père de Moïse». Lâhistoire de cette famille sortie de Madian et alliée de Moise, est pleine dâintérêt. Lorsque Jéthro, après avoir visité Israël au désert, sâen fut retourné dans son pays (Ex. 18:27), Moïse demanda à son fils Hobab de «servir dâyeux» au peuple dâIsraël, pour le conduire dans les campements du désert (Nomb. 10:29-32), et, malgré son refus, ses fils firent comme Caleb, et suivirent fidèlement les marches du peuple de Dieu (Jug. 4:11; 1 Sam. 15:6). Semblables à Rahab, ces enfants dâun étranger dâentre les nations, montèrent de Jéricho, la ville des palmiers (1:16; cf. Deut. 34:3), pour être associés au sort dâIsraël. Ils firent comme Ruth, en sâattachant à Juda pour ne plus le quitter. Comme Othniel, ils sâallièrent à la famille de Caleb, et dans cette famille ils eurent plus spécialement pour chef le fidèle Jahbets, le fils de douleur, qui fit des demandes intelligentes au Dieu dâIsraël, et à qui lâÃternel accorda ce quâil avait demandé. (1 Chron. 2:50-55; 4:9-10). Câest des Kéniens que descendirent les Récabites (1 Chr. 3:55; 2 Rois 10:15; Jér. 35), et quand la Parole clôt leur histoire, elle les loue comme de vrais Nazaréens au milieu de la ruine dâIsraël. Mais, hélas! ce résidu fidèle, sorti dâentre les nations, joue aussi son rôle dans le livre du déclin. Nous le constaterons au chap. 4, par lâexemple dâHéber, le Kénien. Je ne puis me défendre dâappliquer cette histoire des Kéniens à lâÃglise sortie dâentre les nations. Elle aussi a perdu son témoignage, mais, comme les fils de Récab parmi les Israélites, un résidu fidèle au milieu de la ruine peut marcher jusquâau bout dans une sainte séparation du mal, en obéissant à la parole que son Chef lui a transmise.
Ce qui caractérise le déclin (v. 17-36)
Les versets que nous avons passés en revue signalent quelques rares symptômes de décadence au milieu dâun état encore florissant du peuple; ici nous voyons en quoi le déclin proprement dit consiste. Le déclin diffère de la ruine; cette dernière est la pleine maturité du déclin, telle que le chap. 2 nous la présente. Lâune et lâautre reparaissent dans lâhistoire de lâÃglise; il suffit, pour sâen convaincre, de lire les sept épîtres de lâApocalypse. Ãphèse abandonnant son premier amour, câest le déclin; la ruine, câest Laodicée, obligeant le Seigneur à la vomir de sa bouche.
En quoi donc consiste le déclin? Un mot, un seul mot le caractérise: la mondanité. Ce mot signifie la communauté de cÅur, de principes ou de marche avec le monde. Pour découvrir lâorigine de la décadence, il faut toujours remonter là . Certes ce «garde à vous» est intelligible. Quâil serait facile à éviter, ce piège, si le cÅur des enfants de Dieu était intègre devant Lui! Mais Israël, au lieu de déposséder les Cananéens, les craint, les supporte, sâétablit avec eux; lâÃglise, vue dans son ensemble, sâallie avec le monde. Nous verrons plus tard les résultats désastreux de cette alliance; pour le moment, la parole de Dieu se borne à établir cette vérité, quâIsraël ne se sépara pas des nations en Canaan.
Un second principe ressort de notre passage. Le déclin est un fait graduel. Dâune étape à lâautre, Israël en descend la pente jusquâau moment solennel où lâange du Seigneur quitte sans retour Guilgal pour Bokim. Ce qui est vrai dâIsraël lâest aussi de lâÃglise (Apoc. 2-3), lâest encore des individus. Un chrétien, après avoir marché dans la puissance du Saint Esprit, sâil donne au monde une petite place dans son cÅur, sera peu à peu envahi, subjugué par cet ennemi quâil a cessé de combattre, et finira peut-être sa carrière dans lâhumiliation cuisante de la défaite.
Les chap. 19-21 de notre livre, sont la narration dâévénements qui précèdent historiquement le premier chapitre. Nous reviendrons à lâoccasion sur ce détail, mais je le mentionne ici pour faire ressortir un troisième principe, en apparence contradictoire du second, câest que lâétat moral du peuple était dès lâorigine entièrement perdu, avant que Dieu lâeût livré à ses ennemis. De même, dans lâhistoire de lâÃglise, à peine le dernier apôtre eut-il quitté la scène, quâun abîme effrayant se creusa entre les principes de lâAssemblée primitive et ceux des temps immédiats qui suivirent. Les chrétiens perdirent subitement jusquâaux notions élémentaires du salut par grâce, de lâÅuvre de la croix, de la justification par la foi1.
1 Voyez à ce sujet lâimportant traité: Christianisme et non Chrétienté, par J.N.D.
Ces deux principes, le déclin graduel et la déchéance subite, ont pour nous une grande portée pratique. Le premier nous met en garde contre la moindre tendance mondaine: le second nous montre que, ne pouvant rien fonder sur nous-mêmes et sur le vieil homme perdu, nous nâavons quâà le tenir pour mort sur la croix, où le jugement de Dieu lâa placé en Christ, afin que nous dépendions entièrement de Dieu et de sa grâce.
Entrons maintenant dans le détail de notre passage.
«Juda sâen alla avec Siméon, son frère, et ils frappèrent le Cananéen qui habitait à Tsephath, et détruisirent entièrement la ville; et on appela la ville du nom de Horma», qui signifie: «entière destruction». Ce fait est remarquable et rappelle le livre de Josué. Juda rejette toute alliance, toute communion avec le Cananéen. Les villes fortes des Philistins sont conquises. «Et lâÃternel fut avec Juda». Mais pourquoi ce dernier ne prit-il possession que de la montagne? Pourquoi ne pas déposséder les habitants de la vallée? Hélas! il craint leurs «chars de fer». En apparence, défiant de ses forces, Juda sâétait allié avec Siméon, et câétait, nous lâavons vu, se défier de Dieu en une mesure. La crainte de la puissance du monde suit le manque de confiance en la puissance de Dieu. Nâavaient-ils pas jadis, en un jour de victoire, brûlé au feu les chars de Jabin? (Jos. 11:4, 6, 9). Dieu nâavait-il pas promis à la maison de Joseph, quâelle déposséderait le Cananéen, quoiquâil eût des chars de fer et quâil fût fort? (Jos. 17:18). Quâétait-ce donc pour lâÃternel que des chars de fer? Lorsque notre confiance en Lui et en ses promesses est ébranlée, nous disons comme les espions envoyés par Moïse pour reconnaître le pays: «Nous y avons vu les géants, fils dâAnak ...; et nous étions à nos yeux comme des sauterelles, et nous étions de même à leurs yeux» (Nomb. 13:34).
Quel contraste chez Caleb! (v. 20). Ce dernier dépossède lâennemi, et même les trois fils dâAnak, de tout son héritage. En un temps de déclin, la foi individuelle peut réaliser ce dont lâaction collective est incapable.
Au v. 21, les fils de Benjamin ne dépossèdent pas le Jébusien, habitant de Jérusalem. Juda, en des jours prospères (v. 8), avait frappé cette ville au tranchant de lâépée et lâavait livrée au feu. Mais les troupes de lâennemi vaincu sont habiles à se reformer et ne se tiennent jamais pour battues. Le relâchement dâIsraël leur offre une occasion favorable, et câest ainsi que «le Jébusien a habité avec les fils de Benjamin à Jérusalem jusquâà ce jour».
Lâhistoire de la maison de Joseph (v. 22-26), rappelle celle de Rahab, au chap. 2 de Josué, mais avec une différence capitale: lâÅuvre de foi est absente. Lâacte de lâhomme de Luz, livrant sa ville aux fils dâIsraël, est dâun traître, non dâun croyant. Joseph lâamorce en lui promettant la vie sauve. Aussi retourne-t-il au monde, après sa délivrance, au lieu de sâassocier, comme Rahab, au peuple de Dieu, et rebâtit-il, dans le pays des Héthiens, ce Luz que lâÃternel venait de détruire.
Nombreuses, hélas! sont les villes que Manassé ne dépossède pas. Remarquons ce mot: «Le Cananéen voulut habiter dans ce pays-là ». Pour le croyant affaibli, la volonté du monde a plus de force que la parole et les promesses de Dieu. Lorsque Israël «fut devenu fort», il rendit, à la vérité, le Cananéen tributaire, mais câétait le dominer, non pas le déposséder. La chrétienté, devenue puissante et riche, fit de même envers le paganisme. Il pouvait convenir aux voies providentielles de Dieu envers le monde quâil en fût ainsi, mais la foi nây était pour rien.
Ãphraïm et Zabulon laissent le Cananéen sâétablir au milieu dâeux (v. 29, 30). Désormais, le monde fait partie du peuple de Dieu. Aser et Nephthali (v. 31-33), font un pas de plus; ils habitent au milieu des Cananéens. Israël est submergé par eux.
Un trait encore, et le tableau sera complet: «Les Amoréens repoussèrent dans la montagne les fils de Dan, car ils ne leur permirent pas de descendre dans la vallée» (v. 34). Le monde obtient enfin ce quâil cherchait; il dépouille les enfants de Dieu de leur héritage. Satan a toujours pour but de nous priver des biens qui font notre joie et notre force, et nây réussit que trop.
Souvenons-nous de cette gradation dans le déclin. Pauvre Israël! nous le verrons bientôt abandonnant le Dieu qui lâavait tiré du pays dâÃgypte, se prosterner devant les faux dieux, et, comme conséquence de son idolâtrie, opprimé et mis au pillage par ses ennemis.
Mes frères! nous appartenons tous à la période du déclin. Il est trop tard pour le retour collectif de lâÃglise; remontons, du moins, individuellement ce chemin glissant. Prenons garde au monde; défions-nous de ses appâts les plus inoffensifs. Soyons, en ces temps de la fin, des fidèles à qui le Seigneur peut dire: «Jâentrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi» (Apoc. 3:20). Distinguons-nous par une sainte séparation du monde et une communion grandissante avec le Seigneur jusquâau bout de notre carrière.